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Le retour de Louis Riel

Le 11 juillet 1884, à l’école Lindsay, se tint une assemblée, réunissant 400 à 500 personnes, composées de Métis, de Half-breeds et de Blancs. Étaient présents Charles Nolin, Gabriel Dumont et Maxime Lépine. Louis Riel fit un discours modéré et calme, n’évoqua aucun moyen illégal pour obtenir justice. Tandis que William Henry Jackson, anglophone et bilingue, et qui appuyait la cause des Métis, adopta un ton virulent, pour décrire les soucis de la population ; il était secrétaire d’une association agricole. Le chef Métis se rallia la quasi-totalité des assistants.


Un avocat de Prince Albert l’invita à prendre la parole dans sa paroisse ; le père Alexis André qui en était le curé lui déconseilla de s’y rendre, craignant un incident regrettable. Mais une pétition signée par plusieurs citoyens, désireux de le voir et de l’entendre, lui fÉt présentée ; il en parla au père André, qui, cette fois, l’incita à accepter l’invitation, pour ne pas sans doute déplaire à ses paroissiens.


Le 19 juillet, la salle était bondée ; tout le village s’était donné rendez-vous pour le voir et l’écouter ; tous avaient entendu parler de lui, mais peu le connaissait. Doué du don de la parole et d’un charisme hors du commun, il fit un discours dont la modération lui attira des applaudissements ; il appela à l’unité de tous ; il accusa la civilisation d’avoir volé les Indiens ; il peignit leur misère et leur incapacité à « soutenir la concurrence des Blancs ». Toutefois, un seul incident vint à rompre l’atmosphère chaleureuse ; un ancien volontaire du colonel Wolseley lui cria, soudainement, qu’il était un criminel ; on l’expulsa immédiatement de la salle.


Alors, le père André fit un rapport au lieutenant-gouverneur, au sujet du comportement de Louis Riel. « Il prêche fortement la paix et l’union…il veut que les Métis obtiennent gratuitement un titre aux terres qu’ils occupent… discuter pour obtenir l’érection en provinces des trois districts de la Saskatchewan, de l’Assiniboia et de l’Alberta ou du moins de faire représenter ces trois districts au parlement… que les lois concernant les terres soient modifiées pour qu’elles s’adoptent mieux à la rapide colonisation du pays. »


Le discours de Louis Riel avait soulevé un mouvement de protestations, surtout chez les anglophones ; des comités se formèrent pour discuter des problèmes. Maintenant, les agitateurs les plus virulents étaient les anglophones. William Henry Jackson, libéral et opposant à Macdonald l’accusait de tous les maux de la population. Il prônait la sécession du Nord-Ouest du reste du Canada et une fédération, dépendante seulement de la Couronne d’Angleterre ; il affirmait que les Indiens possédaient le Nord-ouest, et qu’il n’appartenait pas au Dominion.


Riel s’entretint avec le chef Gros Ours, au domicile de Jackson, à Prince Albert. L’indien accusa le fédéral de manquer à ses obligations et demanda à Riel d’appuyer les revendications de son peuple autant que celles des Métis. Riel lui donna la garantie que les droits des Indiens seront également sauvegardés.


On disait que Riel suscitait la révolte parmi les Indiens pour faire valoir les droits des Métis. Et les libéraux, opposés au conservateurs de Macdonald encourageaient le mouvement de contestation dans leurs propres intérêts. Il en résulta que des journaux conservateurs portèrent des attaques injustifiées contre Riel ; ils réveillaient des vieux préjugés racistes parmi la population, eu égard à son passé.


Le clergé se préoccupait de l’immixtion de Riel dans les revendications indiennes ; principalement parce qu’il se rendait compte que l’influence du chef métis sur les Indiens empiétait sur celle des missionnaires. Au même moment, Riel se mit à prendre ses distances du père André ; celui-ci lui reprocha de se considérer avoir reçu une « mission divine », d’être utopiste et fanatique. De son côté, Riel lui avoua qu’il doutait de l’infaillibilité du clergé en matière de foi.


Riel souhaitait fermement que le clergé l’appuie dans son mouvement, comme il l’avait fait, autrefois, au Manitoba. Mais les prêtres s’inquiétaient de l’emprise que le chef métis avait sur la population. Mgr Vital Grandin rapporta : « Sa réputation de sainteté se répandit dans la population. Un culte se forma autour de sa personne. Les Métis me parlaient de Riel avec enthousiasme extraordinaire. C’était pour eux un saint, je dirai plus, une espèce de Dieu… »


L’évêque, au cours d’une visite pastorale dans ses paroisses, avait baptisé des enfants et prit le pouls de la population à propos de Riel. L’accompagnait Amédée Forget, secrétaire du lieutenant-gouverneur, Edgar Dewdney.


Ce dernier fit entendre que Riel pourrait siéger, moyennant salaire, au conseil des Territoires du Nord-Ouest. Riel, dit-on, aurait refusé pour « ne pas se salir les mains » ; il visait à être député ou sénateur. Le secrétaire fit rapport à son patron sur l’agitation qui prévalait chez les Métis français et anglais. Il souligna « que des colons blancs sans scrupules », libéraux, adversaires de Macdonald aiguillonnaient ces derniers à la révolte.


Riel et les Métis reprochaient au clergé de ne pas appuyer leur mouvement, mais de favoriser les Canadiens-Français et les préjugés racistes.


Mgr Grandin écrivit dans son journal : « Si vous réclamez les faveurs auxquelles votre titre de premiers occupants vous donne droit, nous serons avec vous, mais nous ne pourrons appuyer une révolution…Riel nia, dans une conversation privée, que la pensée d’une révolution fut dans ses plans ». Par ailleurs, l’évêque approuva la création d’une association nationale métisse, que lui proposa Riel ; Saint-Joseph en fut le patron. Toutefois, Mgr Grandin trouvait Riel exagéré dans ses propos quand il venait à parler de politique et de religion ; il craignait comme le clergé et certains Métis qu’il ne devienne fou. »


Le père Végreville rapporta qu’au cours d’une réunion de Métis, Riel « se déchaîna contre le gouvernement ; il déclara que les prêtres, les évêques et les archevêques étaient des serviteurs de Dieu, nous saurons bien les contraindre à marcher avec nous… « J’ai une œuvre à accomplir par une vocation divine…ils n’ont en vue que l’argent et le bien-être ; il faut qu’ils deviennent pauvres et qu’ils se suffisent par le travail de leurs mains comme les apôtres ».


Après de tels propos, le père André le traita en ennemis. Cela l’affecta tant qu’il pleura, lui demanda pardon ; et « au pied du tabernacle, il jura…qu’il ne se révoltera plus contre le clergé et les autorités civiles ».


En dehors de ces écarts d’exaltation, proches de la folie, Riel, excellent catholique, fréquentait les sacrements assidûment.


Son comportement gênait le clergé ; il désirait qu’il retournât aux États-Unis, comme il l’avait déjà déclaré en arrivant. Riel vivait aux crochets de ses amis ; il disait que le fédéral lui devait de l’argent. Le père André lui promit de l’aider à obtenir une compensation financière.


Le père André et D.H. Macdonald, membre du conseil, en parla au lieutenant-gouverneur Dewdney. « si le gouvernement fédéral prenait en considération ses revendications (de Riel) et lui versait un certain dédommagement », le leader métis s’assurerait que ses partisans fussent « satisfaits avec pratiquement tout règlement de leurs revendications sur les concessions de terre que le gouvernement pourrait être disposé à faire et qu’il serait prêt à rentrer aux États-Unis ».


Le lieutenant-gouverneur reçut des avertissements et des demandes de ceux qui connaissaient bien la situation agitée dans laquelle se trouvait la population, après l’arrivée de Louis Riel parmi les Métis et les Indiens. D.H. MacDowall, membre du conseil des Territoires du Nord-Ouest, le père André, le major Crozier, de la police du Nord-Ouest, Mgr Vital Grandin, évêque de St-Albert : tous souhaitaient que Louis Riel partît aux États-Unis ; car sa seule présence parmi les Indiens et les Métis étaient une cause d’agitation ; et il avait une grande influence sur eux, pour le bien comme pour le mal. Il suffirait qu’une compensation financière lui soit accordée, pour qu’il s’exile à nouveau. Il pourrait faire accepter par les Métis toutes les conditions posées par le gouvernement ; on le considère comme un demi-dieu ou un « oracle ».


Mgr Grandin avertit le ministre des Travaux publics, Hector Langevin, que les Métis et les Indiens se sentent méprisés par le gouvernement. « Une fois poussés à bout, ni prêtres ni évêque ne pourront leur faire entendre raison. Je vous supplie donc d’user de votre influence pour qu’il soit tenu compte de leurs justes demandes. »


Macdonald refusait toute compensation monétaire. Quant aux concessions des terres, lui et les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur avaient déjà résolu de ne plus concéder des titres de propriété négociables ; car les Métis et les Indiens, gens peu fiables, les revendaient à des spéculateurs. Comme cela s’était produit au Manitoba. Donner de l’argent ou des terres n’étaient pas, selon lui, une solution à long terme des problèmes.


Le 30 décembre 1885, une pétition signée par William Henry Jackson et Andrew Spence arriva au bureau du premier ministre Macdonald. Le document demandait : un traitement plus libéral pour les Indiens et les sang-mêlés ; des concessions de terre avec des titres de propriété ; « le statut de province avec gouvernement responsable et contrôle de ses ressources naturelles ».


Le 9 janvier 1885, étude de la pétition par le gouvernement et transmission au ministre de l’Intérieur pour qu’elle soit mise en œuvre. Les ministres avaient décidé de recenser les Métis et de leur donner des titres de propriété. Macdonald s’y conforma malgré ses convictions personnelles contraires. Il dira plus tard en chambre : « Je ne cache pas d’avoir agi à contrecœur. Je ne cède pas facilement quand une solution meilleure est possible. Mais au dernier moment, j’ai cédé. Je me suis dit : Bon sang ! Donnons-leur leurs titres fonciers. Peu importe s’ils les boivent, les vendent ou les gaspillent ! Mais au moins nous aurons la paix ».


Le 4 février, le lieutenant-gouverneur « fut chargé de procéder au recensement de tous ceux qui n’avaient pas reçu de terres en vertu de l’acte du Manitoba » ; ainsi les colons qui avaient déjà reçus des concessions au Manitoba, et qui les avaient vendues, étaient écartés de ce privilège.


Le 24 février, à une grande assemblée, tenue à l’église de Batoche, Riel accusa le fédéral « d’avoir volé l’Ouest » de « mauvaise foi » et de ne pas accorder les concessions des terres demandées. Puis, il annonça qu’il retournait aux États-Unis, que son mandat était terminé ; car le fédéral le considérait comme un étranger, refusait de négocier avec lui.


D’un même souffle, la salle cria qu’il devait rester, de ne pas les abandonner et de défendre leurs droits. Un anglophone déclara « qu’il devait rester comme leur chef et qu’il était prêt de le suivre jusqu’au bout ». Quand Riel demanda à la foule si elle était disposée à en subir toutes les conséquences, celle-ci répondit par de vifs applaudissements.


En mars 1885, Riel déclara qu’il prendrait les armes si cela s’avérait nécessaire. Gabriel Dumont, son adjudant-général, le poussait à l’action, lui disant que le fédéral ne bougerait que par la prise de « mesures énergiques ».


Riel alla rencontrer le père André, en compagnie d’un groupe d’amis, afin de lui demander l’autorisation de créer un gouvernement provisoire ; car il avait besoin que le clergé l’appuyât dans son mouvement. Mais le père lui opposa un refus catégorique, prévoyant que les conséquences seraient désastreuses. Et Louis Riel fut expulsé du presbytère avec ses compagnons.


Alors le leader Métis réunit ses partisans et leur fit signer une résolution dont le but était « de sauver notre pays du mauvais gouvernement en ayant recours aux armes si nécessaire ». Mais Charles Nolin refusa de signer ; il lui proposa plutôt de faire une neuvaine à St-Joseph, patron des Métis. Nolin et Jackson la suivirent avec une frange importante de la population. Jackson, qui était méthodiste, eut l’intention de se faire baptiser, et d’adjurer sa religion.


Source : Louis Riel, Un destin tragique, Bernard Saint-Aubin, Les Éditions la Presse, 1985.




Animaux 15, monotype, 38 X 28 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose


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