Un nouveau gouvernement provisoire
- pelarose
- 4 août 2021
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Le 15 mars 1885, l’église de Saint Albert était bondée ; les principaux leaders métis étaient présents : Louis Riel, Lépine, Damase Carrière et Gabriel Dumont. Le père Vital Fourmond, dans son sermon, rappela aux fidèles « le quatrième commandement défendant la révolte contre le pouvoir établi ». Il conclut « par la déclaration de refus d’absolution pour ceux qui prendront les armes ».
Riel s’en prit au curé d’avoir fait de la politique en chair et de son refus des sacrements.
Le même jour, le commissaire de Regina, Irvine, « à la tête d’une centaine d’hommes, se met en route vers le Nord » ; il avait été averti par le major Crozier que les Métis causaient des troubles, devant le refus du fédéral de négocier.
Riel se croyait capable de rassembler derrière lui toute la population « y compris les sang-mêlé et les Indiens des États-Unis ».
Les Métis apprirent que 500 hommes de la police montée se dirigeaient vers Batoche ; ils se rendirent dans le village, pour en avertir Riel. Celui-ci et ses hommes entrèrent au magasin « Walters and Baker », s’emparèrent des armes et munitions, et ils capturèrent des otages, dont un agent des affaires indiennes. Ensuite, on coupa les fils électriques reliant Regina.
Le 19 mars, Riel annonça au père Vital Fourmond la création d’un gouvernement provisoire, et que « la vieille Rome est tombée et qu’il y a un nouveau pape en la personne de l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget. Vous serez le premier prêtre de la nouvelle religion et désormais vous m’obéirez ». Le curé répond : « Jamais ! ».
Alors Riel choisit 15 membres pour son conseil, dont Pierre Parenteau (président), Philippe Garnot (secrétaire) et Gabriel Dumont (adjudant-général). Le conseil se nommera « exovidate » et les membres « exovede » ; (celui qui a été choisi parmi le troupeau). À titre de prophète de Dieu, Riel ne fait pas partie du conseil.
Riel n’avait pas compris qu’en s’aliénant le clergé, il s’aliénait par le fait même d’une partie des Métis et des Indiens, lesquels étaient des pratiquants, qui obéissaient aux missionnaires. Et les prêtres refusaient l’absolution à ceux qui prenaient les armes.
Charles Nolin, cousin de Riel, Louis Marion et William Boyer s’opposèrent au chef métis. Ils se firent arrêter. Nolin, chef de l’opposition, fut condamné à mort, mais son exécution ajournée. Maxime Lépine réussit à le convaincre d’appuyer Riel. Lépine prônait seulement une manifestation armée sans violence.
Riel, qui, lui aussi, ne voulait pas de violence, tenta de s’emparer du Fort Carlton par un ultimatum menaçant au major Crozier ; car c’était une réserve de vivres ; il lui intima l’ordre de quitter le Fort, sinon « ce serait une guerre d’extermination ». Le major refusa d’une façon catégorique.
Pour leur part, les half-breeds, trop consciens de la témérité d’une guerre contre le Canada, n’adhérèrent pas au mouvement de Riel. Ni tous ceux des Blancs qui ne voulaient que profiter de la situation chaotique ; ils se dissocièrent immédiatement de Riel ; ce furent les premiers à s’enrôler, à l’appel des autorités, pour combattre l’insurrection.
Le 26 mars, une troupe du major Crozier se dirigeait vers le lac aux Canards pour acheter des provisions, au magasin de Hillyard Mitchell. Le major avait dépêché ses hommes, bien que ce dernier l’ait averti d’attendre, pour ne pas aggraver la situation. En chemin, Dumont et ses partisans les affrontèrent et les enjoignirent de retourner au Fort Carlton. Dès qu’il apprit la nouvelle, Crozier à la tête d’une centaine d’hommes partit pour le lac aux Canards. Le commissaire Irvine dit plus tard que le major impulsif avait déraisonné.
Les troupes de Crozier firent face à quelques 300 Métis et Indiens, conduits par Riel. Crozier et son interprète, le half-breed Joseph McKay alla vers Isidore Dumont et un Indien, afin de parlementer. À cet instant, l’Indien « fit un mouvement comme s’il avait voulu s’emparer du fusil de McKay ». Au même moment, les Métis firent une manœuvre d’encerclement ; le major, croyant à un piège, ordonna de tirer. Riel fit de même à ses partisans, et selon Gabriel Dumont, il combattit l’ennemi, à cheval, n’ayant à la main qu’un crucifix, et proférant ces paroles : « La première décharge, au nom du Père Tout-Puissant : la deuxième au nom de Dieu le fils ; la troisième, au nom de Dieu le Saint-Esprit, et ainsi de suite ».
Le major eut 11 hommes blessés et 12 morts, tandis que 5 Métis furent tués du côté de Riel. Ce dernier empêcha Gabriel Dumont de poursuivre les fuyards, disant : « Pour l’amour de Dieu de ne plus tuer », il y a « trop de sans répandu ». Sans lui, l’ennemi aurait été massacré.
Aux funérailles, le père Fourmond tenta d’apaiser les Métis, de les détourner de leur esprit belliqueux, mais sans succès. Ceux-ci et les familles éprouvées voulaient venger leurs morts ; ils les considéraient martyrs de la cause de Riel. La victoire leur faisait croire à la mission divine de celui-ci. On défendit le deuil et les pleurs.
Jugeant le fort Carlton indéfendable, Irvine, qui était arrivé sur les lieux avec 108 hommes, se dirigea immédiatement vers Prince Albert, à une soixantaine de kilomètres.
Charles Nolin, qui s’était réfugié à Prince Albert fut aussitôt arrêté et emprisonné. Riel avertit les Métis de ne pas déserter les rangs, sous peine de subir le sort de Nolin.
Le père André proposa alors au major de « promettre l’immunité aux fugitifs. Crozier proclama en conséquence l’avis suivant : « Toute personne contrainte de prendre part à la rébellion contre notre auguste souveraine la reine Victoria, ou retenue malgré elle, recevra protection en se présentant devant les officiers commandant les places de Carlton et de Prince Albert ».
Sir John A. Macdonald ne craignait pas la rébellion des Métis, mais il craignait que le soulèvement de ceux-ci embrase tous les Indiens. Il avait raison. Car même si les half-breeds et les Blancs ne soutenaient plus Riel ; celui-ci comptait sur l’appui des tribus autochtones, dont certaines se mirent sur un pied de guerre, dès qu’ils apprirent le succès du chef métis au lac aux Canards.
À la fin de mars, les Indiens de Faiseur d’Enclos et de Petit Pin s’étaient emparés de Battleford et des villages voisins. Ils avaient pillé des magasins et des maisons. La population s’était réfugiée dans les casernes de la police. Les autochtones assassinèrent leur instructeur, un Blanc.
Le 2 avril, un jeudi saint, au lac à la Grenouille, Esprit Errant, une brute, à la tête des hommes de Gros Ours, envahit l’église catholique pendant la cérémonie, et expulsa les Blancs ; l’agent des affaires indiennes fut abattu, comme un chien, par Esprit Errant, au nez de Gros Ours, impuissant. Deux missionnaires, Léon Fafard et Félix Marchand, furent tués ainsi que 7 autres personnes. La population fut horrifiée par ce massacre. Des Indiens dévalisèrent les magasins du gouvernement.
Riel dépêchait des hommes auprès des Indiens pour les stimuler à commettre des actes de violence. « Menacez, soulevez les sauvages, réduisez avant tout la police du fort Pitt et de Battleford à l’impuissance ».
Le clergé contrecarrait heureusement la rébellion de Riel ; le père Lacombe pacifia les Pieds-Noirs ; Mgr Grandin de Saint -Albert réussit à contenir le mécontentement des Métis de sa mission ; des missionnaires du lac la Biche et de l’Île-à-la Crosse réunirent une milice pour contrer les agresseurs.
Le 25 mars, Frederick Middleton, major général, commandant de la milice canadienne, arriva en Saskatchewan avec une unité d’infanterie ; il établit son quartier général à Qu’Appelle.
Environ 8000 hommes du Québec et de l’Ontario seront appelés sous les drapeaux pour vaincre la rébellion.
Le plan de Middleton consiste à attaquer les rebelles sous trois fronts : lui-même marchera avec ses hommes vers Batoche, quartier-général de Riel ; le major Thomas Strange avec son détachement se rendra à Edmonton, à partir de Calgary, pour affronter les Indiens de Gros Ours, et ensuite, il se joindra à lui, le major général ; pour sa part, le lieutenant-colonel William Otter ira à Battleford pour libérer le village des Indiens qui l’occupaient.
Le mouvement insurrectionnel de Riel n’était pas général et manquait de cohérence. Des adhérents de première heure prenaient la fuite ; d’autres ne l’appuyaient que par peur de représailles du chef métis ; d’autres doutaient du récit de ses visions ; Philippe Garnot, instruit et septique, a raconté : « Chaque matin, il (Riel) apparaissait devant le conseil et donnait ses prophéties. Il commençait toujours par ces paroles : « L’Esprit de Dieu m’a dit ou m’a fait voir… ». Louis Schmidt, son ancien secrétaire, pensait que Riel jouait le prophète.
Louis Riel aurait exploité l’ignorance et la crédulité de ses congénères ; ce qui ne signifie pas qu’il n’était pas sincère.
Le premier affrontement entre les forces de Riel et celles de Middleton eut lieu le 24 avril, de l’aube au crépuscule, à l’Anse-aux-Poissons, située à 12 kilomètres de Batoche. Quatre Métis furent tués et deux blessés. Middleton perdit dix hommes et cinquante furent blessés.
Middleton disposait de 800 hommes et Riel de 230 cavaliers.
La veille, Riel apprit par ses éclaireurs que l’ennemi se dirigeait vers Batoche ; lui et Gabriel Dumont, son adjudant-général, se mirent aussitôt en route pour combattre les Canadiens, avec 200 cavaliers Métis et Indiens. Trente hommes étaient restés au quartier-général, avec Edouard Dumont, le frère de Gabriel, pour le garder.
À chaque arrêt, Riel ordonnait la récitation du chapelet. Dans la soirée, on vint l’avertir que la police montée avançait vers Batoche. Avec 50 cavaliers, Riel retourna au quartier-général.
Le lendemain, Gabriel Dumont engagea le combat dès l’aube avec l’adversaire.
Il a raconté : « Je suis parti vers 4 heures du matin avec Napoléon Naud, pour aller reconnaître le camp ennemi, et je me suis avancé à environ un demi mille de l’endroit où il était. J’ai mis pied à terre sur une élévation. Comme j’aperçus les éclaireurs ennemis poursuivre les nôtres, j’essayai de les entraîner dans les isles de bois. Je les ai entendus donner des ordres avec la bugle (clairon), mais ils n’ont pas osé nous suivre…Vers sept heures, un éclaireur, Gilbert Berland, nous avertit qu’une colonne d’environ 800 hommes s’avançait sur nous. J’ai alors placé mes gens au nombre de 130, dans un bas-fond…et j’ai fait cacher les chevaux dans le bois. Je suis parti avec 20 cavaliers pour aller m’embusquer plus en avant sur le passage des troupes, avec le dessein de ne les bousculer que lorsqu’elles seraient repoussées, et donnant ordre à mon corps principal de ne les attaquer que lorsqu’elles se seraient complètement engagées dans la coulée. Je voulais les traiter comme on traite les buffles. »
Les soldats de Middleton commencèrent à tirer à sept heures vingt selon Dumont. Dans l’après-midi, son frère Edouard, en entendant le canon, vint le rejoindre avec Riel et 80 cavaliers. Pendant la bataille, plusieurs Métis et Indiens prirent la fuite.
Au crépuscule, le major général ignorant les forces de Riel n’osa aller de l’avant ; ce qui mit fin au premier affrontement.
Source : Louis Riel, Un destin tragique, Bernard Saint-Aubin, Les Éditions la Presse, 1985.

Sans titre 18, monotype, 28 X 38 cm
Artiste peintre : Pierre-Émile Larose
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