Louis Riel accepte de retourner au Nord-Ouest Canadien
- pelarose
- 9 juin 2021
- 6 min de lecture
Après les années 1870, les troupeaux de bisons se firent de plus en plus rares ; les missionnaires, qui suivaient les Indiens et les Métis, à la poursuite des bêtes, s’aperçurent en les cherchant, qu’elles s’éloignaient toujours davantage de leurs lieux habituels. Les chasseurs n’écoutaient pas leurs avertissements ; ils tuaient même les femelles sans merci. Des animaux étaient même laissés, à pourrir, dans les champs. Les prédictions des religieux vinrent à se réaliser. La rareté du garde-manger conduisit à la disette et à la famine. Des Indiens et des Métis mouraient de faim faute de viande. On vint à se rassasier de loups en état de putréfaction.
En 1875, des Indiens de Saskatchewan réclamèrent du lieutenant-gouverneur la distribution de vivres.
Devant cette situation, le père André proposa au colonel French de la police montée, des règlements pour la protection des bisons : les Métis et les Blancs n’auraient le droit de chasser qu’entre le 1ier juin et le 1ier novembre ; une amende de 500$ dollars et confiscation des peaux, en cas d’infraction ; taxe sur les peaux des femelles tuées en hiver. Le colonel consentit à présenter ces mesures au ministre de la Justice.
Pendant les dernières années de la décennie 1870, des Indiens furent réduits à manger leurs chevaux, leurs chiens, de petits rongeurs et même des animaux pourris. Des cas de cannibalisme furent signalés par les missionnaires.
Un historien écrivit qu’en 1884 : « dans la prairie, il n’y a plus l’ombre d’un bison. On est réduit à chasser le loup et le canard ».
La culture du nomadisme était trop inculquée chez les Métis et les Indiens pour qu’ils s’adoptent, du jour au lendemain, à la sédentarité et à l’agriculture. Certains d’entre eux trouvaient des emplois, auprès des missionnaires ou de la CBH ; mais le commerce de la compagnie périclitait.
Le gouvernement résolut alors de créer l’institution des « réserves pour les Indiens. Mais les Métis et les Half-breeds, qui se considéraient supérieurs aux Indiens, refusaient de se considérer inférieurs aux Blancs ; ils n’auraient jamais consenti, pour eux-mêmes, à ce statut de « réserves ».
Les Indiens avaient le loisir de continuer leurs activités, même si on leur attribuait des espaces particuliers. Le but visait à les habituer à la vie sédentaire, en cultivant la terre. En contrepartie de ces « réserves » inaliénables que le gouvernement leur donnait, celui-ci leur rachetait le sol que les tributs occupaient et leur octroyaient des « annuités en argent et en nature », leur créaient des écoles, leur livraient des instruments agricoles et du bétail.
Plusieurs Indiens furent réticents, sinon réfractaires, à ces nouvelles habitudes de vie, qui changeaient de fond en comble leurs traditions ; elles étaient contraires à leur tempérament de nomades. Ils finirent par s’y faire de peine et de misère, forcés par la faim d’entrer dans cette camisole de force.
Il en résulta du mécontentement contre le gouvernement et les Blancs. On accusait ceux-ci et la police montée d’être à l’origine de la disparition des bisons ; en outre, la révolte commençait à gronder contre le gouvernement qui ne tenait pas ses promesses. Au moins sept traités avaient été conclus entre les Indiens et les autorités. En plus, quand ils réalisèrent que leur territoire avait été cédé à la Couronne, d’une façon permanente, ils crurent qu’on les avait dupés.
Des vols et des pillages se multiplièrent ; des tributs armées en attaquaient d’autres.
En 1883, le gouvernement adopta une politique d’austérité ; les avantages accordés aux Indiens diminuèrent. On accusa le gouvernement d’avoir négocié les traités de mauvaise foi.
En 1884, des Indiens pillèrent des magasins du lac Croche, au vu et au su de la police montée ; elle fut incapable d’intervenir, par peur d’être toute massacrée.
Les Métis, les Half-breeds et les Indiens ne s’habituèrent pas à la vie sédentaire que le gouvernement leur avait imposée dans la province du Manitoba ; plusieurs émigrèrent dans le Nord-Ouest, dans cet immense territoire, qui s’étendait jusqu’aux Montagnes Rocheuses ; lequel fut constitué, en 1905, en les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta. Auparavant, ce territoire était administré par un conseil de cinq membres, nommés par le fédéral ; par la suite, des membres élus y furent ajoutés. Le conseil s’occupait des finances et de la justice. En 1873, la « Northwest Mounted Police » fut créée.
Les missionnaires prônaient l’agriculture et décourageaient l’esprit de nomadisme, qui conduisait à l’ivrognerie. Peu de Métis et d’Indiens s’habituèrent à cultiver leurs terres et à les aimer. Ils les abandonnaient souvent ou les vendaient à de vils prix à des spéculateurs. Riel reconnaissait les tempéraments de ses congénères, leur indolence, leur imprévoyance et leur absence d’esprit économique.
En 1879, Mgr Taché tenta auprès du colonel J.S. Dennis l’ouverture de « réserves » pour les Métis. Mais la majorité de ceux-ci n’auraient jamais accepté d’être infériorisés et de partager le sort des Indiens.
Les Métis du Nord-Ouest vivaient dans l’incertitude comme ceux de la Rivière-Rouge. La plupart n’avait pas de titres de propriété ; ils craignaient d’être spoliés par l’arrivée des migrants.
Ottawa, bombardé de pétitions et revendications, en laissa tomber plusieurs.
Dans certains secteurs, aucun arpentage n’avait pas encore été effectué, alors qu’à Saint-Albert et à Saint-Laurent, on avait arpenté d’après le système appliqué au Québec ; le lotissement se faisait en étroites bandes de terre, perpendiculaires à une rivière, afin que chaque tenancier ait un point d’eau. En dehors de ces paroisses, le système d’arpentage américain ou celui en vigueur dans les Cantons de l’Est du Québec, était appliqué.
Les colons anglophones et les représentants gouvernementaux méprisaient les métis francophones ; ils ne se comprenaient pas entre eux, ne parlaient pas la même langue. Les Métis ne pouvaient pas faire valoir leurs griefs.
Les anglophone Blancs étaient aussi mécontents, avaient leurs propres griefs contre le gouvernement. Des propriétés avaient été dépréciées par la construction du chemin de fer continental, ce qui avait ruiné des spéculateurs. Des mauvaises récoltes, la baisse du prix du blé causaient des pertes aux cultivateurs. Plusieurs étaient des libéraux, opposés au pouvoir de Macdonald, avaient intérêt à exacerber l’agitation des Métis.
Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, dénonça, auprès de Sir Hector Langevin, ministre des Travaux publics, l’attitude des anglophones de Prince-Albert ; ils poussent, dit-il, les Métis à la révolte pour satisfaire leurs propres intérêts. Au lieutenant-gouverneur, il écrivit : « Je dois dire aussi que, actuellement, les métis sont surtout portés à la révolte par une certaine classe de Blancs qui passent auprès d’eux pour gens instruits et bien posés. Le commerce ne va pas, l’argent ne se voit plus. Une révolte sérieuse ferait changer cet état de choses, ce qui arrangerait d’autant mieux les excitateurs qu’ils feraient en sorte de pousser les Métis en avant sans se compromettre eux-mêmes. »
Le 6 mai 1884, une réunion se tint dans une école de Prince Albert. Des Blancs anglophones et des Half-Breeds en sont les organisateurs. Cinq Métis sont sollicités d’y assister : Gabriel Dumont, Charles Nolin, Maxime Lépine et deux autres francophones. La discussion porta sur les problèmes et les griefs de la population. On s’accorda pour condamner à l’unisson la politique du gouvernement fédéral. Mais quand il fut question qu’une délégation soit dépêchée auprès de Louis Riel, afin qu’il vienne les aider, à titre de chef des Métis, à régler leurs problèmes, l’unanimité des assistants se brisa. Toutefois, le président Spence manœuvra habilement, afin de rallier les dissidents. Alors, le choix des délégués se porta sur deux francophones, Gabriel Dumont et Michel Dumas, et sur un anglophone, James Isbister. Moïse Ouellette devait les accompagner.
Personne ne put faire entendre raison à ceux qui en avaient décidé ainsi, même Mgr Grandin et le gouverneur. Frank Oliver, directeur du Bulletin d’Edmonton, sympathisant des Métis craignait le pire. Ce dernier déclara à Jackson : Riel « c’est de la dynamite politique ». Car il n’a pas encore « effacer la tache qui pèse sur lui ».
Les délégués se mirent en route (une distance de mille kilomètres) ; ils arrivèrent au Montana, à la mission Saint-Pierre, le 4 juin, il était parti le 20 mai. Riel avait été averti, à l’avance, de la députation. Le chef Métis assistait à la messe, quand il fut averti de l’arrivée des messagers.
Il rendit sa réponse positive à leur requête, après 24 heures de réflexion. Il se rappela en ce moment les mots de Mgr Bourget : « Il avait une mission qu’il devait accomplir ». En conséquence, il retourna dans le Nord-Ouest porter secours à son peuple, qui le lui demandait. Son confesseur, le père Frederick avait tenté de le dissuader ; mais il échoua ; il prévoyait qu’il y aurait un bain de sang.
Il amena avec lui sa femme et ses enfants. Les voyageurs arrivèrent à Batoche, après un trajet de trois semaines. Son cousin Charles Nolin logea la famille durant 4 mois.
Il alla rencontrer aussitôt le père Vital Fourmond pour recevoir la bénédiction de son entreprise. Il lui déclara qu’il ferait toutes choses d’après les conseils du clergé.
Son premier discours, en l’église de Batoche, révéla un chef qui ne cherchait que la paix ; il agirait conformément à la constitution canadienne et ses lois.
Son arrivée au pays souleva un grand enthousiasme dans toute la population.
Le père Alexis André alla rassurer le lieutenant-gouverneur. Riel n’avait que des intentions pacifiques et aucun mauvais dessein l’animait.
Source : Louis Riel, Un destin tragique, par Bernard Saint-Aubin, Les Éditions la Presse,1985.

Animaux 14, monotype, 38 X 28 cm
Artiste peintre : Pierre-Émile Larose
Comments